A la mémoire de: Michael Sheringham (1948-2016)

Notre collègue, notre ami, Michael Sheringham s’est éteint le 21 janvier dernier des suites d’un cancer qu’il a combattu courageusement. Tout le comité de la RCFFC est en deuil : il tient à lui rendre hommage et à adresser à sa famille et à ses proches ses plus sincères condoléances. Michael avait rejoint dès le début le comité de la revue, et dirigé avec Barbara Havercroft le numéro 4 : Fictions de soi / Self-fictions, paru en 2012. Il y avait notamment réalisé un entretien avec Jean-Benoît Puech.

Chacun sait le rôle déterminant que Michael a joué pour les études françaises contemporaines, et combien ses analyses nous sont précieuses, sur l’autobiographie, la poésie, le quotidien ou l’archive. Dans chacune de ses enquêtes, il savait réinscrire le présent dans une histoire plus longue, tracer les perspectives d’une nouveauté qui ne prend sens que dans ce rapport de transmission et de contestation.

Né le 2 juin 1948 au Caire, Michael tient peut-être de sa mère copte égyptienne et francophone le sens d’une certaine distance dans l’observation de sa propre culture, et de ses parents tous deux journalistes sa curiosité et son amour des livres. Rentré très tôt en Angleterre, il y grandit et choisit pour ses études universitaires la littérature française qu’il étudie entre 1966 et 1973 à l’Université de Kent à Canterbury, une des universités créées au Royaume-Uni dans les années 60, où soufflait un vent d’ouverture et d’invention. C’est à Kent qu’il devient enseignant de 1974 à 1995. C’est aussi dans cette ville où il habite longtemps qu’il rencontre sa femme, Priscilla, et que naissent ses deux enfants, Samuel et Olivia.

Michael Sheringham a d’abord travaillé sur André Breton et le surréalisme, la poésie et la fiction d’avant-garde. Dans ce sillage, il a ensuite ouvert deux autres grands chantiers : l’autobiographie et le quotidien. Ces grandes enquêtes, longuement mûries, qui font jouer ensemble littérature, philosophie et sciences humaines, ont donné lieu à des livres importants : French Autobiography. Devices and Desires, Rousseau to Perec (Clarendon Press, 1993) et Everyday Life. Theories and Practices from Surrealism to the Present  (Oxford University Press, 2009), traduit en 2013 sous le titre Traversées du quotidien (P.U.F.) où il explore la manière dont la question du quotidien s’est trouvée au centre de la réflexion intellectuelle en France entre 1945 et 1980, autour d’Henri Lefebvre, des situationnistes, de  Barthes, de Leiris, de Perec ou de Michel de Certeau. Il a aussi édité Parisian Fields (1996) et avec Johnnie Gratton The Art of the Project : Projects and Experiments in Modern French Culture (2005).

Ses articles portent sur de très nombreux auteurs, avec une fidélité particulière pour Yves Bonnefoy, Jacques Réda,  Georges Perec,  Jacques Roubaud, Patrick Modiano, Marie NDiaye, Pascal Quignard ou Pierre Michon. Revenant sur le travail de Michel Foucault et sur le film de René Allio, il achevait un nouveau livre sur Moi, Pierre Rivière, livre qui s’inscrit dans ses réflexions sur la notion d’archive dans la littérature et la pensée françaises contemporaines. Il travaillait aussi avec Michel Murat à une édition française d’études sur la poésie, d’André Breton à Pierre Alferi. Le livre est en préparation aux Presses de l’Université Paris- Sorbonne sous le titre « Le sujet de ce livre est un être mobile ».

Après avoir été professeur de littérature française à Royal Holloway, Université de Londres, entre 1995 et 2004, Michael a été élu titulaire de la prestigieuse chaire Maréchal Foch à l’université d’Oxford. Il y a enseigné de 2004 à 2015, année où il a pris sa retraite. Un colloque d’hommage venait de lui être consacré à All Souls College dont il était Fellow, les 10-12 janvier 2016 auquel participaient nombre de collègues, amis et anciens étudiants anglais et nord-américains.

La qualité de ses travaux et de sa personne, les liens de confiance et d’amitié qu’il a noués avec nombre d’écrivains et d’universitaires lui ont permis de fédérer et d’officialiser l’enseignement de la littérature française contemporaine. Il a déployé une activité inlassable au service de la littérature et de la culture françaises au Royaume Uni en tant  que Président de la Society for French Studies et, pendant de longues années, du Comité de la Maison Française d’Oxford. Il a formé nombre d’étudiants auxquels il a transmis son amour de la langue et de la poésie. Dans le  cadre du séminaire French Literature from the Modern to the Postmodern, il a invité plusieurs écrivains dont Michel Deguy, Jacques Réda, Dominique Fourcade. Il a été professeur invité au Collège de France, à la Sorbonne, à l’École Normale Supérieure, dans nombre d’universités françaises et aussi à Berkeley et à Dartmouth College. Il a été aussi pendant près de trente ans, un collaborateur régulier du Times Literary supplement, écrivant sur Guillevic, Claude Simon, Barthes, Supervielle, Apollinaire, Yves Bonnefoy, Annie Ernaux et Philippe Jaccottet, auquel il a consacré son dernier article à propos de la parution du volume de la Pléiade en 2014.

Cette activité inlassable, Michael l’a mise au service de la communauté universi­taire, de ses étudiants, de ses collègues, des écrivains auxquels il était attentif. Sa curiosité toujours en éveil, son sens de l’humour, la perspicacité de ses problématiques, l’ouverture faite aux sciences humaines, une disponibilité admirable à la rencontre et à l’écoute, une manière authentique de se réjouir du quotidien de la vie sans le mépriser ni le magnifier : ce sont tous ces traits que nous gardons dans notre mémoire et dans notre cœur. Ce sont toutes ces qualités qui nous manquent.

Nous sommes nombreux à l’avoir côtoyé dans des colloques, dans des sémi­naires, et bien sûr aussi dans des pubs ou dans des restaurants, lors de promenades dans les villes qu’il aimait tant ou de randonnées dans la campagne. Chacun connaissait sa simplicité, sa chaleur communicative, la vivacité de son esprit – son charme. Chacun garde en lui le souvenir de ces moments passés avec lui, où l’ordinaire savait prendre, grâce à son talent, un air de fête et de complicité.

Pour le Comité
Dominique Combe, Michel Murat et Dominique Rabaté